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Première partie d'un article consacré à réfléchir sur la notion de "pays de Gimel", abordée dans ses aspects historiques, géographiques, administratifs et sociologiques. Pour ouvrir un débat, avec l'espoir que ce soit utile pour l'action locale.

 

 

 

Dés sa fondation, le 8 juillet 2017, notre association a choisi de s’appeler « Défense et Respect du Pays de Gimel ». Nous nous étions déjà expliqués sur cette appellation, dans une brochure publique parue en août 2017.[1] Il nous a paru utile d’y revenir, car d’une part la question nous est parfois posée et que, d’autre part, la vocation intercommunale de l’association DRPG a été récemment réaffirmée.[2]

 

Qu’est-ce donc que ce fameux « pays de Gimel » ? Une simple commodité de langage ? Un peu plus que cela à nos yeux, et c’est ce dont nous voudrions ici nous expliquer.

 

Pays légal…

 

Pour nous, le pays de Gimel se définit comme un territoire, informel mais réel, comprenant principalement les communes de Gimel les cascades, Saint Priest de Gimel et Saint Martial de Gimel.

 

Cet ensemble, certes, n’a pas de traduction dans les découpages administratifs actuels. Il inclut trois communes bel et bien distinctes, chacune dotée de sa mairie et de son administration propre.

Saint Priest de Gimel s’étend sur une superficie de 17,68 Km² et comprend 501 habitants.

Gimel les cascades, située à l’Ouest de Saint Priest, s’étend sur une superficie de 20,86 km²  et comprend 770 habitants.

Enfin, Saint Martial de Gimel, située au sud des deux précédentes, s’étend sur une superficie de 24,04 Km² et comprend 483 habitants.

Chacune de ces communes communique par le biais de « frontières » conjointes avec les deux autres.

 

Le pays de Gimel au sens où nous l’entendons ne recoupe pas non plus le territoire de la communauté d’agglomération dite « Tulle agglo », laquelle s’étend sur 868,10 km², comprend 43 communes - dont les trois qui nous occupent - et 46.344  habitants.

 

Les trois communes appartiennent à la 1ère circonscription législative de la Corrèze. En revanche, depuis un découpage opéré en 2014, elles dépendent de cantons différents : celui dit de « Sainte Fortunade » pour Saint Priest et Saint Martial, celui dit de « Naves » pour Gimel les cascades.

 

… Pays réel

 

Alors, pourquoi utiliser cette expression de « Pays de Gimel » ? Pour en comprendre la signification, il paraît au préalable important de garder à l’esprit que, par delà les limites administratives officielles, une distinction est à penser et à établir entre « pays légal » et « pays réel ».

 

Celle-ci s’impose d’autant plus que, ces dernières années, on observe un décalage grandissant entre les découpages administratifs, en constante évolution, et les bassins de vie concrets. Dans leur quête insatiable de nouveautés et de supposée rentabilité, les technocraties décisionnaires semblent éprouver beaucoup de satisfaction à organiser le grand chambardement permanent des  périmètres, avec lequel va un changement incessant des appellations.[3] Ainsi, les « pays », qui pour les géographes d’autrefois recoupaient des micro-régions, voire des vallées, ont connu une éphémère résurgence en 1995,[4] sous la forme d’entités censées favoriser les initiatives intercommunales à petite échelle, pour s’amenuiser de facto à partir de 2010,[5] l’Etat optant finalement dans les années suivantes pour le quadrillage généralisé du territoire dans des intercommunalités telles que nous les connaissons actuellement.

 

Cette obsolescence programmée des noms engendre un véritable brouillage des repères. On fait au passage bon marché de l’histoire longue des « pays », celle-ci étant ravalée petit à petit au rang de curiosité périmée, à peine survivante dans la mémoire des anciens ou les écrits confidentiels des historiens locaux.

 

Que reste-t-il, après ces chamboulements incessants ? Un peu de « pittoresque » résiduel. Cette instabilité érigée en preuve de modernité encourage en tout cas l’amnésie. Pendant ce temps, dans nombre de campagnes françaises, on continue de se dire « du village » ou « du pays »…

 

Une géographie, une histoire, des traits communs…

 

Au-delà des découpages plus ou moins arbitraires des zones administratives, il nous semble qu’une unité géographique, historique, paysagère et mentale continue de rapprocher au moins[6] ces trois villages et leurs populations.

 

La géographie, les structures géologiques sont les mêmes. Les paysages, malgré quelques différences, sont proches les uns des autres et se complètent.

 

Saint Priest se donne plutôt comme la commune des étangs (Brach, Caux, Laborie), mais c’est aussi le pays du plateau partagé avec Gimel (zones du Breuil, du Château de Saint Priest).

Si Gimel les cascades tire sa notoriété de la présence des cascades et des gorges abruptes où coule La Montane, l’étendue de la commune (20,86 km²) lui permet d’englober des plateaux, des vallonnements et des bois identiques à ceux que l’on trouve dans les deux autres communes, tandis que la totalité de l’étang de Ruffaud en amont du bourg, est située sur le territoire de Gimel. Saint Martial se singularise par la douce beauté de ses collines harmonieuses, comme on en trouve chez ses deux voisines.

 

Dans l’ensemble, il y a interpénétration, enchevêtrement et complémentarité des paysages. Il se forme ainsi, au-delà des différences, une continuité que tout promeneur peut constater.

 

Gaston Vuillier (1845-1915) remarquait déjà les correspondances entre les étangs de Brach et de Ruffaud, situés pourtant dans deux communes différentes.[7] Plus : il évoquait un « pays de Gimel » dans un passage significatif de sa série d’articles « Chez les magiciens et sorciers de la Corrèze » parus en 1899 dans la revue Le tour du monde.

 

« Ce pays de Gimel, surtout, dont nous disions autrefois les beautés, vous prend par son charme étrange. Allons à l’aube nous asseoir dans la mousse sur les bords de l’étang Laborie, regardons autour de nous et écoutons. » [8]

 

Plusieurs historiens ou écrivains de la vie locale ont noté les relations étroites qui unissaient Gimel, Saint Martial de Gimel et Saint Priest de Gimel aux temps anciens.[9] Mais c’est aussi l’écrivain géographe Onésime Reclus (frère cadet du célèbre Elisée) qui, décrivant à ses lecteurs le sud du massif des Monédières, passait sans solution de continuité de la description des champs de Brach (Saint Priest) à la célébration des quatre cascades de Gimel alimentées par « des étangs solitaires », chutes à l’époque déjà menacées de « profanation » par des industriels avides de dividendes.[10]

 

Bien entendu, étant donnée la place occupée par la religion dans les mentalités, en Corrèze peut-être plus qu’ailleurs, et le rôle institutionnel de l’église du moyen âge jusqu’à la veille de la révolution, l’archiprêtré de Gimel dépendant du diocèse de Limoges, fonctionnant au moins dés le XIII° siècle, contribuait certainement à la similarité des croyances et des pratiques des habitants. [11]

 

Il faut noter que selon Paul Maureille, l’archiprêtré de Gimel, avant sa création  dont la date exacte est imprécise mais dont le périmètre est connu, correspondait au IX° siècle à plusieurs « doyennés », regroupements de paroisses, dont l’un, le doyenné dit « de La Montane », comprenait, outre celles de Sarran, Vitrac et Eyrein, les paroisses de Gimel et de Saint Martial de Gimel. Les liens entre ces deux paroisses sont donc extrêmement anciens.

 

Une fois créé, cet archiprêtré, dont le titulaire était curé de l’église de Saint Pardoux,[12] embrassait prés de 55 paroisses, nombre qui fût ramené à 35 après la création de l’évêché de Tulle (juillet 1317). Cependant, du début à la fin, il comprenait les quatre paroisses de Gimel, Braguse (ou Saint-Etienne de Gimel) jusqu’à sa disparition en 1732, Saint Martial de Gimel et Saint Priest de Gimel. Les vicaires de Braguse et de Saint Priest étaient semble-t-il logés dans le presbytère de Gimel avec l’archiprêtre titulaire.[13]

 

Les interactions autrefois constantes entre les trois paroisses, ces « rapports intimes » évoqués par J-B Poulbrière, paraissent établis. Ils se sont poursuivis lorsque les paroisses sont devenues « communes » après la révolution de 1789.

 

Ils furent certainement facilités, ensuite, par le fait que des terres dépendantes des trois communes étaient englobées dans la propriété des comtes successifs appartenant à la famille de Valon, lesquels se succédèrent du XVIII° siècle jusqu'en 1911. Ils occupaient le Chateau de Saint Priest, bâti au 17ème siècle, qui était le centre d'un domaine agricole étendu (plus de 1000 hectares), développé notamment par Joseph de Valon (1783-1848) maire de Tulle, conseiller général, élu 6 fois député de la Corrèze entre 1824 et 1842.

 

Ces affinités ont bien sûr été remodelées avec le temps. Sont-elles pour autant disparues  ? 

 

Jean-Claude Bouyssou, Didier Peyrat

 

 

(à suivre)

 

 

 

 

[1] Cf. l’introduction à la brochure de DRPG « UN DESASTRE PAYSAGER POUR LE PAYS DE GIMEL », parue le 22 août 2018.

 

[2] Cf. l’article BIEN VIVANTE, BIEN VEILLANTE, BIEN AGISSANTE : UNE ASSOCIATION… paru le 22 juillet 2020 sur ce blog.

[3] La séparation en deux cantons différents des 3 communes de Gimel les cascades, Saint Martial de Gimel et Saint Priest de Gimel, lesquelles étaient depuis 1801 réunies dans le canton dit de « Tulle sud », puis « Tulle campagne-sud » - démembrement dont on cherche en vain les motifs rationnels, sauf quelques considérations obscures de politique locale - est un exemple de ces découpages artificiels.

 

[4] Cf.  la Loi Pasqua « d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire », renforcée par la loi Voynet du 25 juin 1999.

 

[5] L'article 51 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales a supprimé la possibilité de créer de nouveaux « pays ».

[6] Notons qu’au Moyen-âge l’archiprêtré de Gimel comptait parmi ses 35 paroisses celle de Saint-Merd-de-Gimel, devenue par la suite une commune du même nom. Avant qu’un décret révolutionnaire pris en 1796 la renomme en « Saint Merd de Lapleau ». Cette commune de 174 habitants (2017) est aujourd’hui comprise dans le canton d’Egletons. Elle est située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Saint Martial de Gimel, non loin de Marcillac la Croisille (5 kms).

 

[7] Cf. L’EXCURSION MERVEILLEUSE, Gaston Vuillier, brochure parue en 1903. Rééditée en 2003 à l’initiative d’Alain Sentier, maire de Gimel les cascades. Voir notamment des pages 41 à 45.

 

[8] L’étang de Laborie (aujourd’hui La Borie) étant situé sur le territoire de la commune de Saint Priest, on voit bien que Vuillier avait une vue ample du Pays de Gimel, ne le réduisant nullement aux cascades sises à Gimel à la sauvegarde desquelles, il a consacré le dernier quart  de sa vie, de 1892 à 1915. Cf. CHEZ LES MAGICIENS ET LES SORCIERS DE LA CORREZE, Gaston Vuillier, n° 44 de la nouvelle série de la revue Le tour du monde, paru le 4 novembre 1899. Bibliothèque DP.

 

[9] Cf. GIMEL (Corrèze) de Victor Forot (président honoraire du syndicat d’initiative de Tulle et de la Corrèze), brochure non datée mais, d’après son contenu, probablement publiée dans les années vingt ou trente du XX° siècle. De même, dans GIMEL ET SES ENVIRONS, plaquette éditée en 1946 par LES EDITIONS INTERNATIONALES, non signée. Bibliothèque DP.

 

[10] Cf. LA FRANCE A VOL D’OISEAU, Onésime Reclus (1837- 1916), ouvrage paru en 1908 chez Flammarion. NB : partie consacrée au Limousin rééditée en 2018 par Les éditions Le Festin, (collection Petites variations) sous le titre LES LIMOUSINS A VOL D’OISEAU. Voir notamment les pages 35 à 41.

 

[11] Cf. L’ARCHIPRETRE DE GIMEL, Paul Maureille, Revue Lemouzi, n°73, 1980, p.46 à 49. Numéro disponible à la médiathèque Eric Rohmer à Tulle. L’archiprêtré de Gimel était né de l’éclatement en deux de l’archiprêtré de Meymac décidé par l’évêque de Limoges.

 

[12] En  1231, Bernard est le plus ancien archiprêtre de Gimel connu. Cf. PROMENADE A GIMEL, Abbé J-B Poulbrière, 1875, réédité en 1974 par l’imprimerie Orfeuil, Tulle. Voir p. 16 et 17. Bibliothèque DP.

 

[13] Cf. DICTIONNAIRE DES PAROISSES DU DIOCESE DE TULLE, Abbé J-B Poulbrière, tome 1 réédité en 1964. Voir pages 459 et 460. Disponible à la médiathèque Eric Rohmer de Tulle.

 

Tag(s) : #Mémoire du lieu
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