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La controverse autour du projet de réforme de la retraite, dont la mesure phare est le report à 64 ans de l'âge légal de départ à la retraite bat son plein dans le pays et un débat au parlement est en cours. DRPG, association indépendante, n'est ni un parti ni un syndicat et ne prendra pas position dans la polémique politique, car ce n'est pas son rôle. 

Cependant, on ne peut passer sous silence la très grande inquiétude qui s'est emparée de la quasi-totalité du mouvement associatif face à ce projet de réforme. Les personnes à la retraite, on le sait, apportent une contribution décisive au fonctionnement et à l'animation des 1,3 million d'associations recensées en France. Selon le site gouvernemental association.gouv.fr, 52% des seniors sont membres d’au moins une association. Le phénomène est encore plus accentué en Corrèze, du fait de la pyramide des âges dans notre département.

Une fiche du Secrétariat d'Etat chargé de l'économie sociale et solidaire et de vie associative, datée de décembre 2022, estime le nombre d'associations actives en Corrèze à 5500/6000. Il y aurait entre 51.000 et 55.000 bénévoles dans les associations actives du département. Sur le total des associations corréziennes, seulement 10% (600) bénéficient d'un emploi salarié, la moitié ayant moins de 3 salariés.

Le bénévolat est la colonne vertébrale du mouvement associatif.

Dans une association locale de taille modeste, privée de la possibilité d'avoir un salarié, le bénévolat des retraité.es joue un rôle décisif, les personnes ayant une activité professionnelle, prisonnières de la course au temps, étant limitées de facto dans leur participation. 

Ainsi, pour prendre l'exemple de Défense et respect du pays de Gimel, les retraités ont joué un rôle important dans notre association, tant au moment de sa fondation en 2017, que dans son animation et le soutien à ses activités. Les retraités, même s'ils n'y sont pas seuls, sont d'ailleurs très présents dans l'ensemble des associations recensées dans la commune de Gimel les cascades. Toutes et tous contribuent fortement au lien social.

Pour beaucoup, le moment de la retraite est celui où, enfin, on peut choisir de s'engager dans une association correspondant à ses centres d'intérêts. Cette présence des personnes âgées, qui témoigne de ce que "retraite" ne signifie pas forcément "inactivité", est également ce qui permet de lutter efficacement contre le sentiment d'inutilité sociale à la fin de la vie professionnelle.

Reculer de deux années l'âge du départ, c'est forcément affaiblir le mouvement associatif, surtout les petites associations, surtout en zone rurale.

Un article paru dans le journal Reporterre le 24 janvier 2023 insistait sur le rôle des retraités engagés dans les associations environnementales.

Lire : https://reporterre.net/Avec-la-reforme-des-retraites-moins-de-benevoles-pour-proteger-la-nature  

Plusieurs tribunes de dirigeants d'associations ont été publiées dans la presse nationale. Etudiant l'impact du report de l'âge légal de départ, elles soulignent les conséquences négatives qu'aura sur la vie associative les deux années supplémentaires de travail qui risquent d'être imposées à toutes et tous. Le Mouvement Associatif (qui regroupe des dizaines de milliers d'association en France) a également fait connaître ses inquiétudes le 13 février dernier... 

Lire : https://lemouvementassociatif.org/wp-content/uploads/2023/02/LMA-position-retraites-13022023.pdf 

Pour nourrir notre réflexion, vous trouverez ci-dessous le texte de deux tribunes parues dans le journal Le Monde les 15 et 16 février dernier. Bien documentées, elles enrichissent le débat et permettront à chacun de se forger, au moins sur ce point particulier, un jugement sur les positions en présence dans le grand débat en cours.

Didier Peyrat

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« Repousser l’âge de départ à la retraite, c’est mettre en péril la solidarité entre les générations »

Alain Villez (Président de l’association Petits Frères des pauvres), Yann Lasnier (Délégué général de l’association Petits Frères des pauvres)

Fraternité. Ce mot, inscrit au fronton de toutes les mairies de France, peine à trouver une réalité dans le champ politique et sociétal. Chez les Petits Frères des pauvres, cette promesse républicaine est bien présente, jusque dans le nom de l’association. Nos bénévoles, femmes et hommes, contribuent, au quotidien, chacun à son échelle, à apporter à notre société de la bienveillance et du soutien à l’autre, tout particulièrement envers les plus fragiles d’entre nous : les personnes âgées isolées qui sont 2 millions en France à être privées de contacts et à vivre l’isolement social, selon le Baromètre 2021 Petits Frères des pauvres/CSA Research.

Alors que la réforme des retraites nous invite à réfléchir profondément sur le modèle de société que nous voulons pour nous ainsi que pour les générations suivantes, nous faisons le choix de poser comme centrale la question du lien social dans ce grand débat qui parcourt actuellement le pays. Cette réforme est-elle de nature à renforcer le modèle de base qui fut le choix du Conseil national de la Résistance, celui de la solidarité entre les générations – finalement « l’intergénérationnel » tellement en vogue n’est peut-être pas si novateur que cela ! – ou bien risque-t-elle, par ses effets parfois même indirects, de fragiliser cette cohésion sociale qui nous est chère et qui cimente nos vies ?

Nous rappellerons que, malgré le choix sémantique opéré il y a désormais bien trop longtemps pour qu’il soit raisonnable de le remettre en cause, « retraite » ne signifie pas « inactivité ». Les retraités apportent à la société française dans son ensemble une indéniable richesse. Sans tomber dans l’image d’Epinal, il est possible de rappeler qu’ils sont d’abord des éléments indispensables à la solidarité familiale aussi bien envers leurs parents – 49 % des 3,9 millions de proches aidants sont eux-mêmes retraités – qu’envers leurs enfants – sept enfants sur dix sont gardés par leurs grands-parents –, selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Quand votre baby-sitter vous lâche ou que l’aide à domicile n’est pas en mesure de passer aujourd’hui s’occuper d’un ancien, ils sont ceux vers qui nous nous tournons en priorité.

Arbitrer entre les différents temps de la vie

Les retraités forment également, bénévolement, une part prépondérante de deux catégories qui sont au service, voire au chevet, de la société française. Ce sont d’abord nos élus et plus particulièrement nos élus « des champs » : plus de la moitié des communes de moins de 1 000 habitants sont dirigées par des maires âgés de plus de 60 ans, selon les données de l’Insee. Et nous le savons : le poids des responsabilités pour ces édiles des petites communes est de plus en plus incompatible avec une activité professionnelle. En 2020, 30 % d’entre eux n’ont d’ailleurs pas souhaité se représenter, a calculé l’Association des maires de France.

Ce sont ensuite nos bénévoles : 1 retraité sur 3 est bénévole dans une association. 37 % d’entre elles sont présidées par une personne à la retraite. Les femmes représentent près de 60 % des bénévoles dans les domaines du social, du caritatif et de l’humanitaire, et 68 % dans l’éducation et la formation.

Ne nous leurrons pas : repousser l’âge légal de départ à la retraite, c’est aussi repousser dans le temps ces différents rôles que nos retraités jouent aujourd’hui dans la société et mettre en péril la solidarité entre les générations, si essentielle aujourd’hui. Il est ainsi légitime de s’interroger sur la valeur ajoutée sociale d’une telle perspective.

Le temps de la retraite se caractérise par la plus grande disponibilité qu’il offre. L’arbitrage entre les différents temps de la vie se trouve simplifié par la libération du temps contraint qu’est le temps professionnel et permet aux retraités de jouer le rôle social essentiel qui est le leur.

Modèle de société

Les retraités qui s’impliquent ainsi le font aussi parce qu’ils le peuvent sur le plan de leur capacité physique. Alors que l’espérance de vie et l’espérance de vie en bonne santé semblent atteindre un palier, retarder le départ à la retraite ne devrait pas être de nature à inverser la tendance. Plusieurs d’entre nous ne seront pas en mesure de contribuer au bien-être de la société dans son ensemble si notre propre bien-être sort affecté des années de travail ainsi ajoutées.

Enfin, les retraités sont capables de s’impliquer, pour certains d’entre eux, parce qu’ils en ont les moyens. Nous saluons, de ce point de vue, le rehaussement prévu de la pension minimum à 1 200 euros brut qui va dans le sens d’une lutte renforcée contre la pauvreté des retraités modestes à condition toutefois que les critères d’éligibilité ne restreignent pas drastiquement le nombre de personnes concernées. Mais nous n’en continuons pas moins pour autant de revendiquer la revalorisation du minimum vieillesse au-dessus du seuil de pauvreté. Question de principe : celui de la dignité.

A la question du modèle de société auquel nous aspirons, nous répondons que celui-ci doit être pensé avec fraternité et souhaitons que cette belle valeur républicaine souvent oubliée, voire dénaturée, puisse aussi guider les travaux des représentants de la nation au moment de l’examen de la réforme des retraites.

(TRIBUNE PARUE DANS LE JOURNAL LE MONDE LE 15 FEVRIER 2023)

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« Reculer l’âge légal de 62 à 64 ans fait peser un risque majeur sur le bénévolat associatif »

Léa Thomassin, Présidente de HelloAsso

Quitter le monde du travail et décider de se rendre utile dans le monde associatif. C’est le choix que font près d’un tiers des retraités. Les seniors constituent le principal vivier des 11 millions de bénévoles sur lesquels s’appuient les associations françaises pour exister. Synonyme de davantage de temps pour soi et pour les autres, la retraite est un moment pivot : déjà 18 % des 50-64 ans sont bénévoles dans une association, et la proportion monte à 27 % pour les 65-74 ans. Effet de bord du projet de réforme des retraites, reculer l’âge légal de 62 à 64 ans fait peser un risque majeur sur le bénévolat associatif. Et ce pour trois raisons.

La première est mathématique : occupés plus longtemps par leur activité professionnelle, les citoyens retarderont leur implication dans une association. Ou ne l’envisageront pas. Car si le nouvel âge légal est fixé à 64 ans, l’allongement de la durée de cotisation prévu par la réforme peut mener jusqu’à 67 ans pour toucher une pension de retraite à taux plein. L’espérance de vie en bonne santé se situant entre 64 et 65 ans, certains néo-retraités pourraient se détourner du bénévolat qui demande du temps et de l’énergie.

La deuxième est conjoncturelle : les associations n’ont pas retrouvé leurs bénévoles d’avant la crise sanitaire, et ce sont en particulier les seniors qui manquent à l’appel. Si la décrue de leur taux d’engagement est continue depuis 2010, elle s’est accélérée dans les trois dernières années : il passe de 38 % à 26 % en 2022. Les associations culturelles et sportives, qui représentent à elles seules la moitié du 1,5 million d’associations françaises, sont les premières à souffrir de cette tendance.

Enfin, la troisième raison : les modalités d’engagement évoluent en toile de fond et donnent naissance à des disparités générationnelles. L’émergence du bénévolat direct qui s’exerce parfois en dehors du cadre d’une structure correspond aux aspirations des plus jeunes qui privilégient un engagement plus ciblé, tandis que leurs aînés s’inscrivent dans une implication tout au long de l’année.

Le risque de la perte de la richesse humaine

Cette nouvelle donne est porteuse d’espoir pour les associations, qui peuvent de plus en plus compter sur la mobilisation des jeunes. Toutefois, l’engagement des jeunes, actifs notamment, demeure souvent ponctuel, au regard du temps dont ils disposent, et cette nouvelle tendance ne doit pas occulter la nécessité de l’engagement bénévole dans la durée, qui structure un grand nombre d’activités associatives.

De ce point de vue, repousser l’âge à partir duquel il est possible de se rendre disponible régulièrement va mécaniquement impacter le vivier des personnes en capacité de consacrer un temps régulier au bénévolat. Ce que la France pourrait gagner en richesse économique d’un côté, elle le perdrait en richesse humaine de l’autre. C’est ce qu’indique, page 136 le rapport du Conseil d’orientation des retraites du 15 septembre 2022  : « Quel que soit l’impact précis d’un report de l’âge sur le PIB, la croissance de richesse que l’on peut espérer d’une telle mesure est susceptible d’augmenter le bien-être des Français ; elle a toutefois pour contrepartie une diminution du « temps libre » susceptible quant à elle de le diminuer. On manque d’outils pour établir un bilan dont il est probable qu’il serait lui aussi différent selon les préférences personnelles, le niveau d’éducation ou les emplois occupés. »

En portant préjudice à l’engagement qui constitue l’énergie vitale de toutes les activités rendues possibles par les associations, cette réforme pourrait également mettre en péril la cohésion sociale de manière significative.

Léa Thomassin (présidente de HelloAsso)

(TRIBUNE PARUE LE 16 FEVRIER 2023 DANS LE JOURNAL LE MONDE)

Tag(s) : #Vie politique vie associative
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