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A la mémoire de Jean-Claude Bouyssou, fervent défenseur de la rivière La Montane

 

Les décisions de justice qui attirent l’attention des médias, notamment de la presse locale, sont souvent les jugements rendus en matière pénale. Pourtant, certaines décisions civiles sont tout aussi importantes, par les questions sensibles qu’elles traitent et les enjeux multiples qu’elles soulèvent.

         Tel est le cas de la décision rendue le 29 janvier 2021 par le tribunal judiciaire de Tulle statuant sur les intérêts civils, à la suite de la condamnation pénale de la société Eyrein Industrie intervenue le 9 janvier 2018.

Rappelons que cette entreprise avait été à l’époque reconnue coupable par le tribunal correctionnel du délit de « rejet en eau douce par personne morale de substance nuisible au poisson ou à sa valeur alimentaire » et de la contravention de « exploitation d’une installation classée autorisée sans respect des règles générales ou des prescriptions techniques ». Ces infractions sont définies et sanctionnées par le code de l’environnement, notamment en son article L 432-2. Les faits avaient été poursuivis à la suite du déversement, en avril 2015, de produits polluants dans la rivière La Montane.[1]

Reconnu coupable des deux infractions, elle avait été condamnée pour le délit à une amende de 4.000 euros, le tribunal la dispensant cependant de peine pour la contravention. C’était la deuxième fois que cette entreprise était sanctionnée en justice pour des faits de pollution, sur le même site, après une première procédure liée à un déversement de produits chimiques en 2012.

S’agissant de la pollution de 2015, la juridiction avait en janvier 2018 renvoyé l’affaire pour qu’il soit statué sur les préjudices invoqués par les trois associations de pêcheurs qui avaient porté plainte. Ce « volet civil » de l’affaire vient de se conclure par un jugement rendu le 29 janvier dernier. Même s’il est plus discret, moins spectaculaire que son aspect pénal, son importance ne doit pas être sous-estimée. C’est en effet à notre connaissance la première fois qu’une juridiction corrézienne reconnaît l’existence d’un « préjudice écologique ».

Qu’est-ce que le préjudice écologique ? Il s’agit d’une notion consacrée par la loi du 18 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité. Le préjudice écologique se définit comme « une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. » Selon l’article 1246 du code civil, désormais, « toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».

Avec sa décision sur intérêts civils, le Tribunal de Tulle a jugé que la société Eyrein Industrie, par son comportement fautif (en l’espèce sa négligence à prendre les mesures appropriées pour prévenir une pollution pouvant résulter de son activité industrielle) avait porté une atteinte suffisamment sérieuse à l’environnement pour qu’elle soit tenue d’en réparer les conséquences. Le préjudice a été évalué à une somme de 50.000 euros, que la société devra verser aux parties civiles.

Cette décision gagne évidemment à être connue. Même si elle n’est pas définitive (Eyrein Industrie peut faire appel), elle constitue d’ores et déjà un avertissement à tous les pollueurs, personnes morales ou personnes physiques, qui sévissent dans la région, en répandant avec désinvolture leurs déchets divers et variés. Ils se voient ainsi incités à prendre toutes les précautions indispensables, sous peine de sanctions financières non négligeables, bien au-delà du montant des amendes pénales parfois infligées.

C’est une des raisons pour lesquelles il faut souhaiter qu’un maximum de publicité soit donnée au jugement du 29 janvier. Dans la défense du droit de l’environnement, la connaissance concrète des peines encourues et des sanctions prononcées se justifie tout autant que pour d’autres délits.

Ce jugement fera aussi repère pour les personnes et les associations mobilisées pour la préservation de l’environnement en différents lieux de la Corrèze. La lutte pour la sauvegarde des écosystèmes, de la faune et de la flore s’en trouvera ainsi légitimée et facilitée. Les trois associations de pêcheurs ont d'ores et déjà annoncé qu'elles consacreront les sommes allouées à des actions de prévention ou de remise en valeur des rivières et ruisseaux impactés par la pollution.

           Ainsi, le champ judiciaire apparaît comme l’un des terrains sur lesquels se joue la bataille pour la défense et la reconquête de la biodiversité. Les défenseurs de l’environnement doivent, et devront de plus en plus à l’avenir, investir le terrain juridique, en complément des actions et mobilisations qu’elles mènent par ailleurs.

Ajoutons pour une complète information du lecteur qu’une troisième procédure est en cours à l’encontre d’Eyrein Industrie, cette fois pour une pollution survenue en août 2018, dont les dégâts écologiques ont été encore plus désastreux pour La Montane que celle d'avril 2015. Cette nouvelle affaire devra également être suivie de près. Espérons qu’il faudra moins de 5 ans pour que la justice fasse connaître sa position dans ce dossier : il serait évidemment souhaitable que les responsabilités soient établies et les éventuelles sanctions prises avant... qu’une nouvelle pollution n’affecte la rivière La Montane !

Didier Peyrat

 

[1] La société Eyrein Industrie est une entreprise qui fabrique des produits de nettoyage dans la zone industrielle située dans la commune du même nom.

 

Tag(s) : #La Montane
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