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Le 12 août 2018, un grave épisode de pollution affectait la rivière La Montane, à la suite du déversement accidentel de produits chimiques utilisés par la société EYREIN INDUSTRIE[1] sur son site installé dans la ZAC dite de La Montane, à Eyrein. Il s’agissait du troisième épisode de pollution chimique dans lequel cette société était impliquée, deux s’étant produits en 2012 et avril 2015.

Une enquête préliminaire était confiée aux militaires de la gendarmerie. Au terme de celle-ci , le procureur du Tribunal judiciaire de Tulle décidait le renvoi de la société (en tant que personne morale) devant la juridiction correctionnelle pour répondre de deux infractions définies par le Code de l’environnement et réprimées par le Code pénal :

  • le délit de déversement de produits chimiques ayant détruit du poisson ou nui à sa reproduction ou sa valeur alimentaire (commis en état de récidive) ; [2]
  • la contravention de dégradation de l’habitat naturel du milieu aquatique, en portant atteinte au cycle biologique d’une espèce protégée, à savoir une moule d’eau douce. [3]

Les débats avaient lieu à l’audience du 11 janvier 2022. Au terme d’un délibéré de 3 mois, le tribunal correctionnel, statuant à juge unique, rendait le 12 avril 2022 un jugement qui décidait de « renvoyer la société EYREIN INDUSTRIE des fins de la poursuite », ce qui, en clair, signifiait qu’elle ne pouvait être condamnée.

Cette décision ne manquait pas de surprendre et consterner les défenseurs de l’environnement en Corrèze, les pêcheurs et les riverains de la rivière La Montane, notamment à Gimel les cascades.

Comme il en avait la possibilité, le ministère public a interjeté appel de la décision. C'est la Cour d'appel de Limoges qui est désormais saisie du dossier.

Cet article a pour objet d'étudier de près le contenu du jugement rendu le 12 avril dernier, étape indispensable pour saisir les enjeux des débats qui auront lieu devant la chambre des appels et mettre en lumière les questions d'intérêt général qui à notre avis sont en cause dans cette affaire.

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    I. Les constatations et la motivation du Tribunal

Le tribunal n’a nullement contesté la réalité et l’origine de la pollution survenue le 12 août 2018. Dans son jugement, il indique que « de nombreux poissons morts étaient retrouvés sur un linéaire de 5 kms, ainsi que la moule pérlière (…), dont une mortalité importante était constatée entre 2017 et 2018. » Il observe que cette pollution « débutait au niveau d’une canalisation provenant du site d’exploitation de la société EYREIN INDUSTRIE ayant une fabrication de détergents et produits de nettoyage.» Il se fait même plus précis sur les causes matérielles de la pollution : « Les investigations établissaient que le rejet de produit provenait d’un regard dans l’aire de stockage, lequel n’était pas relié au réseau d’eau de surface, mais au réseau d’eau de toiture, expliquant un déversement dans le milieu naturel au lieu du bassin d’orage prévu à cet effet. » On apprend également qu’une cuve contenant le produit polluant a été retrouvée endommagée après l’incident. Enfin, il est précisé « qu’un rapport de la DREAL établissait que le stockage des cuves à cet endroit n’était pas conforme à l’arrêté ministériel du 19 juillet 2011,  étant qualifié d’anarchique. »

La matérialité des deux infractions poursuivies n’étant pas douteuse, pas plus que l’implication objective de EYREIN INDUSTRIE, comment la juridiction en est-elle venue à décider que cette société ne pouvait être condamnée ?

S’agissant de la cause matérielle liée au défaut de la cuve, les motifs de la relaxe sont ainsi articulés : (…) l’enquête n’a pas établi à quel moment la cuve endommagée s’est déversée, ni la cause de son endommagement. En effet, il n’est pas possible d’établir avec certitude si celui-ci est dû à l’intervention d’une personne ou à une cause extérieure, étant a priori survenue au cours d’une journée durant laquelle aucune personne ne se trouvait sur les lieux. » Le tribunal poursuit : « (…) il n’a pas été possible de d’établir qui avait entreposé la dite cuve et de quelle manière, afin de caractériser une faute éventuelle, directement en lien avec l’infraction, les seuls manquements à un arrêté ministériel ne suffisant pas en ce sens. » Il déduit de ces éléments : « aucune faute ne peut être directement imputée à une personne physique ni à un organe de la société EYREIN INDUSTRIE. »

En ce qui concerne la cause matérielle liée à l’anomalie du regard, les motifs de la relaxe sont ainsi articulés : « (…) s’agissant du mauvais raccordement du regard litigieux, les éléments de la procédure ne permettent pas de déterminer de manière certaine une faute imputable à la société EYREIN INDUSTRIE, au regard de l’intervention de plusieurs prestataires dans les travaux de 2010. » Le tribunal souligne : « (…) le seul fait qu’un produit provenant de la société EYREIN INDUSTRIE se soit déversé dans un cours d’eau ne permet pas de retenir la responsabilité pénale de celle-ci, qui implique l’identification d’un organe ou d’une personne physique, représentant la société à laquelle une faute intentionnelle ou non intentionnelle soit imputable. »[4]

Et la conclusion tombe : « Par conséquent il convient de renvoyer la société EYREIN INDUSTRIE des fins de la poursuite. »

A la fin du jugement, le tribunal déclare recevables les constitutions de six parties civiles mais il énonce ensuite « qu’il convient de les débouter de leurs demandes en raison de la relaxe prononcée. »

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    II. Lecture critique de la décision

On est d’abord frappé par le silence du tribunal sur plusieurs aspects importants de l’affaire :

  • Le jugement ne comporte aucun historique de la société EYREIN INDUSTRIE, déjà reconnue pénalement responsable de deux pollutions chimiques ayant affecté la rivière La Montane en 2012 et 2015.
  • Le jugement ne mentionne à aucun moment le fait que la société EYREIN INDUSTRIE n’est pas une entreprise comme les autres : il s’agit en effet d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ; [5] 
  • Le jugement, dans son descriptif de la pollution, ne signale pas que celle-ci, après  s’être déversée dans une rivière de première catégorie (La Montane), a impacté pas moins de cinq périmètres protégés traversés par la rivière :  deux sites classés (Vallée de la Montane en amont de Gimel[6], Cascades de Gimel et gorges de la Gimelle[7]), un site inscrit (Bourg de Gimel[8]), une ZNIEFF[9] et un site Natura 2000[10] ;
  • Le jugement omet de rappeler que, le 19 janvier 2019, lors de son audition en gendarmerie, l’un des directeurs généraux de la société avait reconnu les deux infractions pour lesquelles EYREIN INDUSTRIE a finalement été citée à comparaître ;
  • Le jugement ne prend pas la peine de répondre aux arguments des six parties civiles, même en les résumant, alors que plusieurs d’entre elles avaient déposé des conclusions écrites à l’audience du 11 janvier 2022 ;
  • Le tribunal ne s’est pas demandé s’il était normal que le site d’EYREIN INDUSTRIE, entreprise classée ICPE, ne fasse en août 2018 l’objet d’aucune surveillance humaine par présentiel ou vidéo durant les samedis et dimanche, ce qui résulte de l’enquête, alors que sont entreposés sur son site des produits susceptibles de porter atteinte à l’environnement, et que par deux fois déjà des produits polluants utilisés par elle s’étaient déversés dans la nature.
  • Le tribunal ne s’est pas inquiété de connaître les raisons pour lesquelles les auditions de plusieurs dirigeants de EYREIN INDUSTRIE (administrateurs et directeurs généraux) n’ont pas été effectuées durant les 11 mois de l’enquête de gendarmerie.

 

On est ensuite surpris de constater la rapidité avec laquelle l’hypothèse d’une responsabilité de la hiérarchie est évacuée.

Se bornant à constater d’une part qu’aucun salarié auteur direct de l’endommagement de la cuve en cause n’avait pu être identifié, d’autre part que la réalisation du regard défectueux avait mobilisé des intervenants extérieurs, le tribunal semble avoir déduit de ces éléments que toute condamnation de l’entreprise était impossible.

Pourtant, tous les dispositifs dont les défaillances ont été identifiées comme ayant joué un rôle causal dans la survenance du dommage (regard relié à une mauvaise canalisation, cuve endommagée, malfaçons de la zone de stockage des cuves) appartiennent à la société EYREIN INDUSTRIE et sont installés dans ses locaux. S’agissant du regard défectueux, même si elle a fait appel à des entreprises spécialisées pour en assurer la fabrication (en 2009 et 2010), elle était en sa qualité de maître d’ouvrage responsable de sa réception et était chargée d’en vérifier ou d’en faire vérifier régulièrement le bon fonctionnement. Il en va de même pour le produit dangereux (Cocamidopropyl Betaine), acheté par la société et stocké dans ses locaux, sous sa pleine responsabilité de propriétaire et d’utilisateur.

L'implication objective de la société dans le désastre du 12 août 2022 est avérée. De plus, les manquements relevés sont à l’évidence internes à la société, et non possiblement imputables à une « cause extérieure ».[11]

Dès lors, la question qui se pose est : qui au sein de la société a commis ces manquements ?

Le tribunal a certes étudié la responsabilité possible d'un salarié qui aurait endommagé la cuve, pour l'éliminer faute d'identification formelle. Mais il s'est arrêté là. Or dans une entreprise qui emploie plus de 90 personnes, il n'y a pas que des exécutants. Il y a aussi une hiérarchie, une direction.

Le tribunal n'aurait-il pas dû se demander si la dégradation de la cuve n’avait pas été causée au moins pour partie par un défaut de consignes claires, de surveillance de leur respect, ou une organisation du travail et une répartition des tâches défectueuses ? Cela aurait nécessité d’étudier les fonctions de chacun, de voir si des défauts d’organisation et de surveillance n’avaient pas joué un rôle dans la survenance du dommage réalisé le 12 août 2018. Il était également utile de se demander pour quelles raisons cette entreprise sensible (ICPE) n'avait pas mis en place un dispositif de vidéo-surveillance, en particulier sur les zones où étaient stockés des produits dangereux.

S’agissant du regard défaillant, cause déterminante incontestée de la pollution, le tribunal, certes, ne pouvait exclure la responsabilité conjointe de plusieurs intervenants (entreprises, architecte maître d’oeuvre) dans sa réalisation. Mais il devait se demander comment il était possible que le maître d’ouvrage dudit regard (EYREIN INDUSTRIE) ait pu durant au moins huit années ne jamais vérifier son fonctionnement adéquat, alors qu’il s’agissait d’un dispositif crucial (évacuation de flux polluants) pour assurer la sécurité écologique du site.

Bref, il convenait d’examiner la question de savoir si la direction avait bien pris la mesure des obligations environnementales pesant sur elle et si cette préoccupation s’était traduite, avant août 2018, par des consignes claires aux salariés, des mesures tangibles et des contrôles effectifs, y compris sur les installations réalisées à sa demande par des tiers. Le Préfet de la Corrèze n’avait-il pas lui-même constaté, juste après les faits, que « les mesures correctives et préventives mises en oeuvre par la société EYREIN Industrie suite au rejet accidentel du 21 avril 2015 susmentionné apparaissent donc insuffisantes » ? [12]

Malheureusement, le Tribunal ne s’est pas intéressé à la question de savoir si d’éventuelles négligences ou manques de vigilance de la direction en matière de sécurité environnementale n’avaient pas rendue possible, après les épisodes de 2012 et 2015, cette troisième pollution.

 

   La Montane envahie par les mousses le 13 août 2018

 

    III. Une application discutable du droit

Rappelons les dispositions de l’article 121-2 du code pénal qui prévoit la responsabilité pénale des personnes morales :

« Les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. »

C’est sur cet article, rappelé dès le début de sa motivation, que le tribunal appuie sa décision de relaxe : pour lui, l’enquête et les débats de l’audience n’ont pas permis d’identifier les organes ou représentants de la société EYREIN INDUSTRIE qui auraient commis les infractions reprochées.

Il ne fait pas de doute qu’une juridiction saisie de l’action publique à l’encontre d’une personne morale doit non seulement vérifier si des infractions ont été commises mais également examiner si un ou des auteurs de l’action reprochable ont été identifiés.

La question de l’identification des « représentants » ou des « organes collectifs » ayant commis les manquements de la personne morale est si importante qu’elle ne peut rester indéterminée. C’est pourquoi plusieurs décisions de la Cour de cassation imposent à la juridiction de première instance, avant toute relaxe d’une personne morale poursuivie, de procéder à la recherche des organes ou représentants ayant pu commettre les fautes à l’origine des préjudices, au besoin grâce à un supplément d’information.[13]

Même si les investigations n’ont pas permis d’identifier avec certitude un salarié ayant endommagé la ou les cuves en août 2018, ou qui aurait négligé de vérifier le bon fonctionnement du regard installé en 2009-2010 - à condition qu’on le lui ait demandé – cela ne peut supprimer la responsabilité de celui ou de ceux sur lesquels repose le bon fonctionnement d’ensemble de l’entreprise.

Observons que si un salarié avait pu être identifié comme l’auteur de la mauvaise manipulation de la cuve, cela n’aurait pu suffire à exonérer la société ou ses organes dirigeants de leur responsabilité propre. Le produit polluant ne se déverse pas dans le milieu naturel parce qu’une cuve est malencontreusement renversée, il sort de l’enceinte des locaux et se retrouve dans la rivière parce que le système d’évacuation est défaillant. Anomalie structurelle nullement reprochable à celui qui manipule un chariot élévateur, même si ce faisant il commet une maladresse, mais possiblement imputable à la direction de la société.

La responsabilité de la direction est également en cause lorsqu’on constate que les dirigeants de EYREIN INDUSTRIE ont permis durant 8 ans, sans aucun contrôle, l’utilisation d’un regard totalement défectueux… qui favorisait l’évacuation des produits chimiques dans la nature au lieu de l’empêcher.

Cette responsabilité n’est-elle pas aussi présente lorsque qu’on observe que les dirigeants n’ont pas mis en place un cadre et des consignes permettant de s’assurer que les produits dangereux (Nb : l’enquête révèle que ceux-ci arrivent par camions presque tous les jours dans l’usine) soient manipulés avec un maximum de précaution ? Qu’ils ne se sont pas inquiétés que l’aire construite pour les recevoir, laquelle devait être aménagée conformément à l’arrêté ministériel du 19 juillet 2011, ne l’ait pas été ? Que le chemin utilisé par les chariots élévateurs pour déplacer et stocker les cuves était, selon la DREAL, en mauvais état ?

La non-conformité du stockage des cuves avait été reconnue par la direction durant l’enquête. Mais à qui la faute, alors ? Qui devait s’inquiéter de la conformité de l’aire de stockage des cuves ? Qui devait vérifier que les prescriptions de l’arrêté du 19 juillet 2011, étaient bien respectées ?

La réponse à ces questions est claire : c’était à la direction d’EYREIN INDUSTRIE qu’incombaient ces obligations. Son manque de vigilance et de prudence est d’autant plus problématique que son conseil d’administration ne pouvait manquer de savoir que l’entreprise est une ICPE et qu’elle avait déjà été condamnée à deux reprises pour des rejets polluants dans la rivière La Montane.

Dès lors, la négligence ou l’imprudence, ainsi d’ailleurs que l’inobservation d’un règlement (l’arrêté ministériel du 19 juillet 2011, notamment dans son article 25/I et II ) sont bien reprochables à un organe de la SA EYREIN INDUSTRIE : le conseil d’administration de la société.

Dans ces conditions, il est légitime de se demander ce qui permet au tribunal d’affirmer que les investigations ont échoué à identifier un « organe » ou une personne physique représentant la société à laquelle une faute pourrait être imputée.

Le CA est un organe de la société. Et non le moindre. Ajoutons, ce n’est pas un détail, que cet organe a fait le choix de confier à chacun de ses 3 membres la direction exécutive de la société (cf. Extrait Kbis de la société).

Il apparaît de surcroît que les dirigeants n’ont donné aucune délégation de pouvoir en matière d’environnement à l’un des salariés placés sous leur direction. Or en l’absence de délégation, les éventuelles maladresses ou imprudences commises par des exécutants "remontent "nécessairement à la direction de la société. 

Ainsi, malgré l'identification parfaitement possible des organes et représentants susceptibles d'avoir commis des manquements, le tribunal a relaxé sans plus d'examen une société dont l’implication dans les rejets illicites d’août 2018 est pourtant totale, apparaissant de façon éclatante à toutes les lignes de ce dossier.

 

    IV. Des voies encore ouvertes à la réparation du préjudice écologique  ?

Les demandes de réparation de leurs préjudices par les parties civiles, dès lors qu’elles sont portées devant la juridiction répressive - parce que les victimes estiment que leurs préjudices trouvent leur cause dans la commission d’une ou plusieurs infractions pénales - suivent logiquement le sort de l’action pénale : en cas de relaxe, elles ne peuvent prospérer devant la même juridiction pénale. Après sa décision de renvoyer EYREIN INDUSTRIE des fins de la poursuite, le tribunal correctionnel de Tulle pouvait difficilement faire autre chose que débouter les parties civiles de leurs demandes de réparation.

Pour autant, une relaxe au pénal ne fait pas disparaître la possibilité pour des victimes d’obtenir une réparation de leurs préjudices par une juridiction civile.

Responsabilité pénale et responsabilité civile n’ont pas les mêmes contours. Le délit pénal ne peut résulter que d’une infraction à une loi interdisant un acte sous la menace d’une peine, la liste de ces infractions et des peines encourues étant pré-établie dans le code pénal. Le « délit civil » existe toutes les fois qu’il y a une faute, même non prévue par le code pénal, et dommage entraîné par cette faute.

Ainsi, des dommages non causés par une infraction pénale peuvent faire l’objet d’une action en réparation devant la justice sur le fondement de plusieurs articles du code civil :

  • L’article 1240 : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
  • L’article 1241 : « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »
  • L’article 1242 (alinéa1) : « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. »

A ces articles, s’ajoutent deux articles du même code qui prévoient la réparation du préjudice écologique :

  • L’article 1246 : « Toute personne responsable d'un préjudice écologique est tenue de le réparer. »
  • L’article 1247 :  « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l'homme de l'environnement. »[14]

      Rappelons que la société EYREIN INDUSTRIE, suite à la pollution d'avril 2015, n'avait pas seulement été reconnue coupable sur le plan pénal (cf. jugement correctionnel du 9 janvier 2018) mais également, trois ans plus tard, condamnée sur le plan civil à réparer le préjudice écologique engendré par les produits chimiques déversés dans la rivière La Montane (cf. jugement sur intérêts civils du 29 janvier 2021).

 

________

 

Conclusion provisoire

 

Que va-t-il se passer désormais ? Le parquet ayant fait appel de ce jugement, le dossier est transmis à la Cour d’appel de Limoges. Celle-ci devra donc statuer à nouveau sur ce dossier.

Après avoir entendu les réquisitions du parquet général, qui, en principe, devrait défendre la position du parquet de Tulle ayant marqué son désaccord avec le jugement en faisant appel[15] puis entendu les arguments des avocats de la société en cause, la Cour dira à son tour si des fautes de la direction de la société EYREIN INDUSTRIE justifient ou pas une sanction pénale. Elle peut aussi, si elle s'estime insuffisamment informée dans l'état actuel du dossier, ordonner un supplément d’information avant de se prononcer au fond.

Les enjeux de ce procès sont importants pour tous les défenseurs de l’environnement en Corrèze. Comment éviter la reproduction à l’avenir de tels désastres, s’ils ne sont sanctionnés que par…l’impunité ? Espérons que la date de l’audience soit rapidement connue, afin que les débats soient effectivement, et non formellement, publics.

Quoi qu’il en soit, la responsabilité civile de la société EYREIN INDUSTRIE, même après une relaxe au pénal, pourra encore être établie devant une juridiction civile. Pour qu’une telle action prospère, encore faut-il démontrer que sont remplies trois conditions : un dommage ; une faute ; un lien de causalité entre la faute et le dommage. Dans le cas particulier, cette démonstration ne semble pas devoir poser de difficultés :

  • Le dommage est établi, la société EYREIN INDUSTRIE n’en disconvient pas.
  • Les négligences, le manque de précaution, voire la désinvolture de la direction de l’entreprise sont patentes, surtout s’agissant d’une ICPE tenue à une vigilance toute particulière.
  • Il existe un lien évident entre ces fautes, au moins civiles, et la survenance de la pollution.[16]

En tout cas, même dans l’hypothèse où la Cour d’appel venait à confirmer la relaxe prononcée par le tribunal correctionnel, la voie civile demeurant ouverte, la bataille pour obtenir que la société EYREIN INDUSTRIE assume sa responsabilité dans la pollution du 12 août 2018 ne serait pas terminée.

 

La vallée de la Montane en aval de Gimel (site Natura 2000)

Une pollution gravissime comme celle constatée en août 2018, manifestement causée par une activité industrielle et non par une calamité naturelle ou la fatalité, ne peut demeurer comme en suspens, sans responsable.

Pénales ou civiles, les fautes ayant entrainé des atteintes sérieuses à la biodiversité doivent être sanctionnées. Même lorsqu'elles sont commises par une entreprise bénéficiant de subventions européennes substantielles et qui, après 3 pollutions, a réussi à se faire attribuer en 2020 le label "Origine Corrèze", par lequel le Conseil départemental récompense "les produits et savoir-faire élaborés en Corrèze"...

Gardons espoir : il n’est pas impossible que la justice finisse par être rendue. Mieux vaut tard que jamais. Mais cela ne dépend pas que des débats qui se dérouleront dans l’enceinte judiciaire : pour que ce préjudice écologique ne soit pas passé par pertes et profits, les défenseurs de l’environnement en Corrèze devront se mobiliser et donner de la voix. Ce sinistre ne doit pas tomber pas dans l’oubli. L’opinion publique doit être informée des suites de cette affaire. L'enjeu sous-jacent est aussi d'obtenir que la surveillance des ICPE présentes en Corrèze soit renforcée. A nous d’agir.

 

Didier Peyrat, 19 septembre 2022.

 

 

[1] EYREIN INDUSTRIE est une société anonyme au capital de 1.000.000 euros créée le 18 avril 1986. Son activité est : « En France et dans tous les pays le négoce et la distribution de produits chimiques et d’entretien et toutes leurs applications ». Son siège social et son site de production sont en Corrèze, à Eyrein. Les trois membres de son conseil .d’administration occupent aussi les fonctions de Directeurs généraux. Source : extrait Kbis délivré par Infogreffe le 02/09/22.

[2] Délit prévu et réprimé par les articles 131-39 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 811, 9° C.PENALL432-2 al1 du code de l’environnement et 131-38 code pénal.

[3] Contravention prévue et réprimée par les articles .L.173-8, L.415-3 AL.1, .L.173-5 du Code de l’environnement et 131-38, 131-39 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 811, 9° du code pénal.

[4] On notera que le Tribunal, au passage, ne manque pas de complimenter la société prévenue pour avoir « participé activement à l’enquête, identifiant notamment d’elle-même la substance litigieuse ».

[5] Selon l’article L 511-1 du code de l’environnement, entrent dans la catégorie des ICPE « les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. »

[6] Cf. Décret du premier ministre en date du 4 juillet 1983. Document non présent dans le dossier de la procédure d’enquête

[7] Cf. Décret du premier ministre en date du 10 mars 2000. Document non présent dans le dossier de la procédure d’enquête.

[8] Cf. Arrêté du 10 juillet 2000 (Ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement).

[9] ZNIEFF : zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique.

[10] Cf. « Natura 2000, Vallée de La Montane vers Gimel les cascades, document d’objectifs validé en Comité du pilotage du 10 octobre 2008. Document non présent dans la procédure d'enquête.

[11] Aucun épisode météorologique exceptionnel n’a été documenté par les enquêteurs ou démontré par EYREIN INDUSTRIE. De même, aucune intrusion d’un tiers dans les locaux de l’entreprise aux fins de dégradation, aucune effraction n’ont été constatées par les gendarmes.

[12] Cf. Arrêté préfectoral du 27 août 2018, qui figure au dossier de la procédure.

[13] Cf. Arrêts CH. CRIM. Cour Cass. des 22 mars 2016 et 27 septembre 2016, disponibles sur Légifrance.

[14] Selon l’article 1249 du code civil l'action en réparation du préjudice écologique est « ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'Etat, l'Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement ». Cette possibilité est donc a priori exclue pour les particuliers, simples riverains de la rivière. En revanche, les associations de pêcheurs parties civiles dans le dossier d'Eyrein Industrie, qui sont agrées, peuvent déclencher cette action.

[15] En cas de relaxe, seul le ministère public peut faire appel des dispositions pénales du jugement. Les parties civiles, elles, ne peuvent interjeter appel que sur les dispositions civiles.

[16] Notons qu’une instance auprès du juge des référés civils a déjà été engagé par trois des parties civiles. Dans le cadre de ce « référé mesure d’instruction » elles avaient obtenu, le 12 mars 2018, la désignation d’un expert chargé de rendre un rapport sur l’ampleur des dommages et leur cause. Un rapport a été déposé. On verra si la chambre civile du tribunal de Tulle est saisie par les parties civiles.

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